- Taïga & Miel :
La louve faisait rouler, non sans satisfactions, ses muscles puissants sous sa fourrure. Elle aimait cette sensation de puissance, elle aimait sentir les autres courber l'échine sur son passage. Elle se savait supérieur, et n'hésitait pas à le prouver au premier imprudent qui oserait la défier. Qu'elle était fière, Taïga !
Soudain, la truffe frémissante, la jeune chasseuse s'arrêta brusquement, et rampa à l'abri du buisson le plus proche. Son regard bleu glace fixait la silhouette sombre et floue qui apparaissait à l'horizon. Le cliquetis métallique que son ouïe sensible percevait lui faisait hérisser les poils sur le dos. La tâche se rapprochait, et l'odeur ainsi que le bruit était de plus en plus forte. Des claquements de fouet parvinrent à l'oreille de Taïga, et des cris pour inciter les chiens à tirer plus vite. Un grondement sourd monta de la gorge de la chasseuse. Elle avait beau se savoir en Terres Neutres, là où tous les canidés, quelque que soit leur Meute, ou qu'ils soient solitaires ou chiens de traineaux, étaient en droit de se trouver, elle n'appréciait pas la présence des Hommes.
Bientôt, elle put distinguer plus clairement l'attelage. Devant les autres, un mâle de forte carrure courrait avec puissance. Elle reconnut un malamute d'alaska roux et blanc. Derrière lui, des chiennes aux formes plus minces, presque chétives à côté de leur grand compagnon, peinaient à maintenir l'allure rapide dans la neige molle et épaisse. Taïga entrevis, derrière ces chiennes, deux mâles au gabarits à peine plus musclés qui bondissaient pour pouvoir suivre le rythme. Quand aux derniers chiens, deux mâles massifs aux pelages noir et gris, ils étaient ceux qui ressemblaient le plus au chien de tête. Mais c'était ce dernier qui retenait l'attention de la louve. Dans tous les attelages qu'elle avais vu jusqu'alors, ils favorisaient des huskys, plus vifs, plus légers et plus intelligents, comme chien de tête. Mais là... C'était, à l’exception des chiens de barre, le plus massif.
Taïga se tapit un peu plus dans son buisson lorsqu'ils s'arrêtèrent non loin. L'Homme, qui était un Indien, traina péniblement un canoë jusqu'au lac voisin, où il avait apparemment l'intention de pêcher. Il revint pour détacher ses chiens, avant de s'éloigner dans sa petite embarcation. La louve vis le chien de tête renifler l'air avec insistance, la truffe levée. Soudain, il marcha droit vers elle. Elle gronda férocement, défendant ce chien de t'approcher. Elle n'aimait pas ces canidés qui obéissaient aux Hommes. Il ne tint néanmoins pas compte de sa mise en garde et plongea sa tête dans le buisson où elle se cachait. Aussi vive qu'un serpent, elle t'élançait en avant et faisais claquer ses dents à quelques millimètres de son museau pour l'intimider. Il eut un mouvement de recul avant de rapprocher son museau du sien pour la sentir. Grondante, hérissée, la louve se retenait bien de lui sauter dessus pour lui faire passer l'envie d'approcher son sale museau puant du sien.
Elle renouvela son attaque. Cette fois, elle ne se contenta pas de l'intimider en l'effleurant. Ses crocs tranchants éraflèrent le museau roux, mais suffisamment pour qu'il se mette à saigner. Le chien bondit en arrière avec un petit cri de surprise. Il la regardait de ses yeux émeraudes, à la fois surpris et offensé dans sa dignité. Tous les autres chiens, qui n'avaient pas senti la louve, tournèrent leur regard vers le malamute roux en l'entendant pousser un cri. Taïga bondit hors du buisson, désormais il ne servait plus à rien de se cacher, le chien de tête avait trahit sa présence. Hérissée, grondante, les muscles bandés, elle était si menaçante que tous eurent un mouvement de recul. Mais les chiens, la voyant dans une posture de menace, se mirent en tête de l'attaquer avant de n'être eux-même attaqués. L'un des chiens de barre, le noir, se précipita vers elle en aboyant et en grondant. Elle bondit de côté pour esquiver son attaque, avant que son camarade, le gris, se précipite à son aide. Agrippée à la patte du noir, elle s’apprêtait à recevoir le puissant coup de patte du deuxième, lorsqu'il y eut un bref aboiement, et le malamute roux se précipita vers le gris, qui envoya rouler dans la neige. Il y eut un grondement, un éclair de crocs, et le chien de barre repartit ventre à terre vers le traineau, où il se coucha, blessé dans son amour-propre. Le malamute noir avait cessé de gronder et poussait désormais des cris frustrés et apeurés.
« Ô, toi dont le sang est celui de nos frères Loups, relâches mon compagnon. »
Le chien de tête se dressait face à Taïga. Il semblait parfaitement calme, et sûr de lui. Le chien dont la patte était toujours prisonnière des crocs de la Chasseuse tenta vainement de se libérer, pour rejoindre son camarade. Il avait compris que le chien de tête voulait qu'il cesse le combat contre elle, et avait peur que le chien roux ne l'attaque lui-aussi si il ne s'éloignait pas immédiatement de la louve.
« Pourquoi devrais-je t'obéir, sac à puces ? » grondait Taïga entre ses mâchoires serrées.
Le malamute roux soutint son regard longuement. Il n'y avait aucune trace de haine, pas plus que de bienveillance, dans ces yeux verts feuille. Une neutralité certaine, une fierté et une noblesse presque insolentes.
« Parce que je te le demandes. »
« Sais-tu au moins qui je suis ? »
Le malamute noir avait cessé de gémir, et les observait tour à tour, tirant parfois sur sa patte dans l'espoir que la louve ne le relâche, mais n'ayant d'autre résultat qu'une morsure plus ferme encore.
« Tu es une louve de la Meute de l'Est. Jadis, mon père vécut dans la Meute du Nord. »
Un frisson de dégoût parcourut la louve tout entière, et lui fis resserrer les mâchoires. Un chien des Hommes croisé chien de la Meute du Nord. Quoi de plus écœurant ? Sentant la morsure se resserrer, le chien de barre recommença à gémir en se tortillant dans tous les sens. Taïga rouvrit les mâchoires et lui donnait un puissant coup de patte qui le renversais dans la neige. Il se redressa d'un bond en poussant des cris terrifiés.
« Un chiot serait plus brave que toi. Fuis, puisque je t'en donne l'occasion ! » lui aboyait-elle au museau.
Il poussa un gémissement et s'enfuit, à ras de terre, vers son compagnon de barre. Taïga se redressais de toute sa hauteur pour toiser le chien roux. Il hocha la tête en signe de remerciement. La louve s’allongeait au sol.
« La Meute du Nord n'est qu'un ramassis d'imbéciles. Et vous autres, chiens des humains, vous n'êtes que des chiots apeurés. »fit-elle d'un ton froid et dégoûté, appuyant ces derniers mots d'un signe de tête vers les deux chiens de barre, tapis près du traineau.
« Je sais. »
Le chien s'allongea à ses côtés. Elle lui jetait un regard glacial et demandais d'un ton tout aussi sympathique :
« Quel est ton nom ? »
« Miel. »
Taïga, tu te rappelles très bien de ce passé, non ? Tu te rappelles de toutes ces larmes, de ces haines et de ces douleurs que tu as sentis grandir en toi. Mais, venons-en au tout début. Alors que ton univers se résumait à un espace comprimé, aussi noir et sans lumière que les ténèbres de l'apocalypse. Mais, non, ce n'était pas la fin : bien au contraire, c'était le début. Le début d'une vie... Ou devrais-je dire, de trois vies.
Ainsi, tu grandissais dans le ventre de ta mère, sans rien connaître du monde extérieur. Et puis, il y eut cet évènement bouleversant, qui marqua la brusque disparition de tout ce que tu connaissais jusqu'alors.
Tu étais née, en ce morne jour de début de printemps, petite boule de fourrure blanche et grise claire. A tes côtés s'agitaient deux autres louveteaux. Une femelle grise cendrée, plus jeune de quelques secondes, et un mâle brun et noir, plus âgé. Ce fut la Meute de l'Est qui vous accueillit. Ta mère, une belle louve grise et blanche aux yeux bleus, se nommait Cinder. Quand à ton père, tu grandis sans le connaître. Tu n'en étais pas vraiment triste, car ta douce mère s'occupait de toi avec un amour suffisant pour deux parents.
Tu étais la plus heureuse de toutes les petites louves. Ta petite soeur avait été nommée Cendre, et ton grand frère Sun. Tu t'entendais très bien avec eux-deux. Cendre était assez timide et nerveuse, mais elle savait que toi et Sun la protégerez toujours. Vous adoriez courir côtes-à-côtes dans la forêt, et écouter les histoires des Âgés. Partout où vous trouviez l'un des trois louveteaux, vous étiez sûr de tomber sur les deux autres. Ils étaient les trois petits chenapans qui faisaient soupirer tout le monde avec leurs bêtises, mais tout aussi dévoués à la meute et volontaires pour aider, si bien que tout le monde les adorait.
Vous veniez d'avoir un mois et demi lorsque, déjouant la surveillance des autres canidés, vous débouliez hors du camp et vous glissiez en silence jusque dans la forêt. Une fois hors de portée de voix, vous vous mettiez à jouer à cache-cache, à vous poursuivre et toute sorte d'amusements auxquels se livrent des louveteaux. Soudain, tu t’immobilisais, et faisait signe à Sun et Cendre de faire de même. Tu venais d’apercevoir un lapin non loin. Tu n'avais jamais chassé, mais tu avais observé les jeunes Chasseurs lorsque les Gammas leur donnaient des conseils. Tu te tapis donc au sol et commença à avancer, face au vent. Tes mouvements étaient rapides, précis et silencieux. Soudain, tu bondis. Trop tôt. Tu n'atteins pas le lapin, qui s'enfuit aussitôt. Tu le pris en chasse, Sun et Cendre derrière toi. Tu parvins finalement à rattraper le lapin, et tu tendais déjà la patte, prête à l'élancer en avant pour asséner un coup à ta proie. Mais au même moment, un grondement retentit, et un loup noir bondit sur le rongeur. Tu eus juste le temps de stopper net.
Le loup noir aux yeux jaunes perçants était un solitaire. Tu n'en avais jamais vu. En une fraction de seconde, il plongea ses crocs dans la nuque du lapin qui s'écroula, inerte. Le solitaire tourna vers vous son regard jaune, laissant sa proie à ses pattes. Il retroussa les babines, menaçant. Tu avais d’abord voulut sympathiser, mais tu compris qu'il n'avait qu'une idée en tête : faire couler le sang. Même à trois, vous étiez trop jeunes et inexpérimentés. Il bondit, et te saisis entre ses mâchoires puissantes. Tu sentis ses crocs déchirer ta chair, et ton sang couler. Tu poussais un cri, à la fois de douleur, de détresse et de haine. Tu entendis le grondement féroce de ton frère qui bondit sur le museau de ton agresseur. Il le mordit jusqu'au sang, sans cesser de gronder. Le solitaire te mordait moins férocement, et tu en profitais pour échapper à ses crocs mortels. Sitôt tombée à terre, tu te redressais et fonçais droit sur la patte du loup que tu mordis. Cendre, apeurée, se décida tout de même à t'aider et lui mordit une patte arrière. Écumant de rage, le solitaire secouait furieusement la tête, si bien que ton frère fut projeté au sol. Il parvint à se redresser, son petit corps tout aussi meurtri que le tien, et se rua de nouveau vers le loup noir, qui projetait déjà sa gueule grande ouverte vers ta soeur pour la faire lâcher prise.
Tout se passa si vite... Tu lâchais sa patte et bondissais vers le museau du loup pour l'empêcher d'attraper Cendre. Tu te ratais de peu, et lui infligeais une vilaine blessure à la joue de tes petits crocs blancs avant de tomber au sol. Épuisée, chancelante, tu te redressais sur tes pattes tremblantes pour te jeter sur ta soeur que tu poussais d'un coup d'épaule pour la mettre hors de portée du loup. Tu savais que tu n'avais que peu de chances de survies, que tu n'aurais pas le temps d'esquiver les crocs acérés, et qu'une nouvelle morsure, visant la nuque, serait fatale. Mais tu avais sauvé ta petite soeur, n'étais-ce pas le plus important ? Les crocs du loup noir entrèrent dans la chaire de tes épaules, t'arrachant un hurlement de douleur. Le sang souillait ton pelage. Tu hurlais à Cendre de courir chercher la Meute.
La petite louve détala, le regard écarquillé d'effroi. C'est alors que Sun poussa un cri, un cri de haine et de colère comme jamais. Il bondit vers le loup, le poil hérissé. Celui-ci te lança contre un roc d'un brusque mouvement de tête, avant de s'avancer vers Sun, une étincelle de défi dans son regard jaune. Les deux loups se tournèrent autour, le pas raide, le moindre poil hérissée, les babines retroussées. Soudain, Sun bondit. Avec une rapidité surprenante, il frôla le loup, qu'il érafla au niveau du flanc de ses crocs tranchants. Il fit aussitôt volte-face et se jeta sur une patte arrière, avant de faire un bond pour éviter un coup de croc, et de se glisser sous le ventre de son adversaire pour lui mordre la patte avant. Il bondit en face du loup noir, son regard brillant de détermination. Il esquiva les crocs qui fondaient vers lui, et bondis pour mordre le museau sans défense. Il se recula aussitôt et se remit à tourner autour de l'ennemi, avant de fondre pour lui mordre de nouveau une patte arrière. Il voulut se reculer vivement, mais le loup noir fut, cette fois, plus rapide. Il fit volte-face et asséna au petit loup un puissant coup de patte qui l'envoya en l'air. Il l'attrapa au vol, et ses crocs se refermèrent sur la chaire tendre et innocente du louveteau. Il secoua furieusement la tête. Tu voyais, impuissante, ton frère se débattre en hurlant de douleur tandis que son sang coulait le long du pelage de son bourreau. Soudain, le loup relâcha son emprise après un bond puissant, et mon frère fut envoyé dans les airs. Ils tomba lourdement au sol, ensanglanté, non loin de toi.
Tu tentais péniblement de trainer ton corps vers lui, en vain. Alors que le loup noir s'approchait de toi et te retenais en abattant violemment sa patte sur ton dos, et s'apprêtait à te mordre à la gorge, tu vis Sun se redresser dans un ultime effort, afin de pousser un long hurlement, un hurlement lugubre, plaintif, le hurlement d'un loup brisé. D'autres hurlements y répondirent bientôt. La Meute les avait entendus ! Le loup noir jetais un regard haineux vers le petit loup. Il savait que plusieurs loups puissants étaient non loin, et que s'ils tombait sur eux, il était mort.
Il poussa donc un grondement rageur avant de détaler. Mais tu avais vus luire dans ses yeux, aussi clairement que s'il l'avait prononcé, qu'il se vengerait... Un jour. Ton grand frère se traina jusqu'à toi. Trois de ses pattes étaient désarticulées, et ses yeux, jadis si brillants, étaient ternes. Sa queue et ses oreilles pendaient mollement, et tu avais l'impression qu'il était plus fragile et plus brisé encore qu'une tige de blé dans une tornade.
Le louveteau brun et noir se laissa tomber tout contre toi, sa tête sur ton flanc. Vos sangs et vos larmes se mêlaient.
« Je serais toujours là pour veiller sur toi, Taïga. Saches que je vous aimes plus que tout au monde, toi et Cendre. Mes petites sœurs chéries... Ô combien je regrettes, de ne pas pouvoir être présent à vos côtés pour le reste de vos vies... »
« Non, Sun, tu... Tu va guérir, la Meute va te soigner, et... Et tu deviendras le meilleur bêta de la Meute... »
« C'est trop tard. Je pars. Adieu, ma petite sœur tant aimée. Je t'attendrais, Taïga... je t'attendrais toujours. »
Tu devinais derrière son sourire rassurant une douleur infinie, autant physique que morale. Ton grand frère partait pour toujours. Et pourquoi ? Parce que tu n'avais pas sut le protéger. Pire encore, parce qu'il avait voulut
te protéger... Oh, mais pourquoi étais-tu si faible, petite louve ? Pourquoi étais-tu venue au monde, toi plutôt qu'une autre ? Pourquoi avait-il fallut que ce soit Sun, et pas toi ? Tu sentis ton frère hoqueter contre ton flanc, son corps se raidissait. Tu voulais fermer les yeux aussi fort que possible, et qu'en les rouvrant tu te retrouverais de nouveau bien au chaud contre le flanc de ta tendre mère, Sun et Cendre à tes côtés. Mais tu ne supportais pas de quitter une seule seconde le regard du jeune loup, ce regard que plus jamais tu ne verrais. Dans un ultime effort qui t'arracha une douleur immense, tu te penchais vers lui pour lui lécher le pelage, et enfouir ton museau dedans.
« Nous nous reverrons, je t'en fais la promesse. Bon voyage... Sois heureux, où que tu partes, mon frère. Ce n'est qu'un au revoir... »
Les larmes ruisselaient le long de tes joues, comme le long de celle de ton frère tant adoré. Le regard si tendre et si empli d'amour de Sun se plongea dans le tien, tandis que, dans un ultime soubresaut, toute flamme le quittait. Un seul regard en disait plus long que tous les mots du monde. Le corps de ton frère, désormais vide de toute âme, pesait doucement sur ton flanc. Le museau dans l'épaisse fourrure de son flanc, tu fermais les yeux et humais sa douce odeur, déjà souillée par celle du sang et de la mort.
Soudain, tu entendis le martèlement de pattes puissantes. Tu ne relevais pas la tête. Plusieurs gardiens arrivaient, précédés de ta petite sœur. Cendre revenait avec ceux qu'elle avait été chercher... Mais elle arrivait trop tard. Dès qu'elle vit le corps de votre frère, elle stoppa net et s'approcha lentement, comme si elle n'arrivait pas à y croire. Tremblante, elle posa sa patte sur l'épaule du courageux louveteau, et le secoua un peu en murmurant son nom, comme si elle espérait le voir ronchonner parce qu'elle le réveillait. Les larmes se mirent à perler sur ses joues lorsqu'elle se laissa tomber à vos côtés. Les gardiens, après avoir vérifié que le solitaire était bien parti, échangèrent des murmures tristes. L'un d'entre eux s'approcha pour vous murmurer qu'il fallait le rapporter au camp. Ni toi, ni ta sœur ne lui témoignèrent de réaction. Il vous donnait un coup de langue maladroit au sommet de la tête pour vous réconforter, avant de commencer à se saisir doucement du corps.
Durant tout le retour vers le camp, la gardien marcha lentement pour vous permettre de rester à côté du corps qu'il serrait doucement entre ses mâchoires. A peine rentrée dans le camp, Cinder, votre mère, se rua vers vous, inquiète. Ses pattes cédèrent sous elle lorsqu'elle aperçut le corps que le gardien posait délicatement au sol. Ce soir-là, ce fut blottis contre lui que tu t'endormais, aux côtés de ta mère et de ta sœur.
Les mois passèrent. Vous aviez atteint vos six mois. La douleur d'avoir perdu Sun était encore présente, mais vous aviez réussi à la surmonter. Tu recommençais à jouer avec Cendre, bien que moins joyeusement. Tu entendais parfois les autres dirent qu'il manquait quelque chose, lorsque vous n'étiez plus là pour semer la pagaille dans tout le camp. Puis, il y eut une cérémonie, une grande cérémonie. Tu devins une Chasseuse, et ta sœur devint une Oméga. Les gammas vous aidèrent à assumer au mieux ce rôle. Vous concentrer sur vos entraînements vous permit de faire disparaître un peu plus votre peine. Tu te jurais de devenir la meilleure de toutes, pour Sun. Tu t'entraînais donc plus dur qu'aucun autre. Cendre et ta mère étaient toujours là pour t'aider à progresser.
Un jour, tu avais demandé à l'Alpha si tu pouvais aller chasser un peu avec ta sœur. Il avait accepté, trouvant que tu t'acharnais beaucoup trop pour la Meute. Ainsi, tu passais la journée à chasser avec la jeune Oméga. Alors que le soleil déclinait et que vous rameniez vos dernières proies jusqu'au camp, un grand cerf insouciant détala juste devant vos museaux. Aussitôt, vous le preniez en chasse. Courant côtes-à-côtes, comme un seul, vous le rattrapiez sans mal. Comme obéissant à un ordre tacite, vous vous sépariez pour le doubler, chacune d'un côté. Cendre bondit et rata de peu la gorge. Elle retomba sur ses quatre pattes, sans ralentir sa course. Elle bondit sur un grand rocher en face d'elle, puis sur le dos de l'animal, qui poussa un cri et se débattit. Sans perdre une seconde, tu bondissais pour lui mordre un membre avant. Il trébucha, mais se rétablit rapidement... Pas assez, cependant, car tu avais eus le temps de te suspendre à sa gorge. Son épaisse peau t'empêchait de le tuer, et tu tentais tant bien que mal de rester accrochée tandis qu'il te ballottais. Ta sœur tentait de la faire ralentir, en vain. Bientôt, tu parvins à l'entraver avec tes pattes arrières, sans lâcher ta prise. Il trébucha, et d'un coup de crocs, tu l'achevais.
Mais, alors que vous repreniez vos proies pour les ramener au camp, tu t'aperçus d'une présence. Au même moment, une silhouette sombre bondit face à vous. D'un même mouvement, Cendre et toi vous tapissiez au sol, prêtes à attaquer. L'ennemi, l’œil mauvais, ricana en vous voyant, plus furieuses que jamais. Son pelage noir ébène était tâché de sang, et son regard jaune brillait de haine. C'était l'assassin de ton frère... Et tu avais l'occasion de venger le louveteau.
« Cinder avait tord, lorsqu'elle m'a dit que grandir dans une meute ferait de vous des canidés des plus doués. Vous n'arrivez même pas à achever un cerf... Elle aurait dût m'écouter, et vous laisser vivre comme de vrais loups. »
Ce furent les premières paroles que prononça le loup noir. Il semblait connaître ta mère, très bien même... Malgré ton envie de l'attaquer sur-le-champ, tu lui lançais d'un ton glacial :
« Qui es-tu, pour ainsi parler de cette louve ? »
Tu préférais ne pas mentionner le fait que c'était ta mère. Même s'il semblait déjà le savoir, le lui confirmer aurait été une erreur peut-être fatale.
« Elle ne vous a rien dit ? Elle avait sans doute trop honte de ne pas avoir été à la hauteur... Mais voyons, ma petite, je suis ton père... »
Ce fut un choc. Tu t'aperçus alors qu'il avait la même carrure que ton grand frère. Ce pourrait-il... Non ! C'était impossible ! Comment pourrait-il être votre père ? Il avait tué Sun ! Tu bandais tes muscles, et retroussais les babines dans un grondement menaçant. Tu sentais Cendre tendue, à tes côtés. Mais toi, tu ne ressentais que de la haine et du dégoût face à cet être. Le loup noir te fixais, narquois. Soudain, il s'élança. Tu bondis toi aussi. Tu sentis une vive douleur à l'échine, tandis que les crocs de l'ennemi s'enfonçaient dans ta chair. Tu mordis sa patte arrière, refusant de lâcher malgré la douleur.
C'est alors que Cendre poussa un grognement avant de se jeter sur le loup. Ses crocs s'acharnèrent tant et si bien sur l'épaule de votre père que celui-ci dût te lâcher pour menacer ta sœur de ses crocs. Tu en profitais pour lui lâcher la patte et faire volte-face. Tes yeux bleu glace brillaient de colère. Du sang coulait de la blessure sur ton échine, tandis que chacun de tes poils se hérissait. La démarche raide, toi et Cendre tourniez autour du loup noir, le forçant à rester là où il était en lui administrant une bonne morsure dès qu'il tentait d'attaquer l'une de vous.
Au bout d'un moment, le loup finit par bondir sur Cendre. Aussitôt, tu lui mordis furieusement l'épaule qu'il exposait. Il poussa un cri rageur avant de se retourner pour te mordre la joue. Tu grogna en lui mordant le flanc avant de lui bondir dessus pour le renverser. Tu parviens finalement à avoir l'avantage. Tu l'avais renversé sur le dos d'un coup d'épaule et l'avait plaqué au sol. Une patte sur sa gorge et l'autre sur son poitrail, tu le maintins sur le dos tandis qu'il se débattait. Ton museau à un souffle du sien, tu lui crachais au visage :
« Tu n'es
pas notre père ! Quittes nos Terres, et ne reviens jamais ! »
Soudain, le loup rassembla ses forces pour te repousser. Tu retombais sur tes pattes, et défiais l'animal du regard, grondante. Ta sœur vint se poster à tes côtés. Le loup poussa un grognement furieux avant de reculer devant vos crocs acérés et vos yeux étincelants. Soudain, il fit volte-face et partit en courant. Tu te lançais à sa poursuite, ta sœur à ta suite. Tu fus surprise de constater que tu étais plus rapide que le loup noir, car tu n'eus aucun mal à le suivre.
Soudain, il disparut derrière un tronc d'arbre. Tu perdis sa trace, et même ton excellent flair et ton sens de l'observation sur développés ne purent la retrouver. Cendre et toi retourniez à la Meute, encore furieuses.
Vous longiez une falaise lorsqu'un craquement t'alerta que quelqu'un vous suivait. Mais avant que tu n'ai pu bondir, votre "père" surgit et fonça droit sur ta petite sœur, qu'il poussa d'un coup d'épaule dans le vide. Tétanisée, tu vis ta chère Cendre tomber, et se heurter aux rocs.
Pris d'une folle rage, tu bondissais sur le loup noir, tes crocs arrachant la chair tendre, le sang teintant la fourrure de l'ennemi. Il ne fallut pas longtemps avant que le corps du loup noir ne retombe, inerte, au sol. Haletante, tu te redressais, les yeux luisants de haine. Un instant, tu contempla, impassible, le corps du meurtrier, avant de t'éloigner en quelques bons. Quelques secondes plus tard, tu bondissais vers le corps sans vie de Cendre. Tu enfouis ton museau dans sa fourrure, et restais un long moment ainsi, pleurant ta petite sœur.
Tu finis par saisir doucement son cou pour le tirer jusqu'à la meute. Avant de t'engouffrer dans le camp, tu poussais un hurlement lugubre, une plainte emplie de douleur, annonçant la terrible nouvelle. Aussitôt, des gémissements retentirent, et une dizaine de canidés bondirent à ta rencontre. Cender, votre tendre mère, était avec eux. Elle poussa un cri de douleur et ses pattes cédèrent sous elle lorsqu'elle vit le corps de sa fille. Tu t'approchais lentement, portant entre tes mâchoires Cendre. Tu enfouis ta tête dans l'épaisse fourrure du cou de ta mère en signe de réconfort. Elle leva vers toi, son unique fille désormais, un regard vide.
En quelques coups de museau, tu l'incitais à se relever. Tandis que vous rentriez au camp, toi trainant le corps de Cendre, ta mère appuyée sur ton épaule et les autres vous escortant, de nouveaux canidés venaient à votre rencontre, baissant tristement la tête à votre passage.
Dans votre chagrin partagé, Cinder et toi aviez refusé que le corps de Cendre ne soit emmené. Vous vouliez passer une dernière nuit avec elle. Songe Gris, l'Alpha, avait lui aussi dormit contre la jeune louve. Il était très proche de ta famille depuis la mort de Sun. Le lendemain, tu enterra ta soeur en compagnie des deux autres. Qu'importe que tu t'arrachais les griffes contre les cailloux ? Qu'importe qu'elles saignaient ?
Depuis déjà 1 mois, ta soeur n'était plus. Tu avais un an. Ce fut ce jour-là que l'ancienne femelle Bêta décida de rejoindre les Anciens. Elle commençait en effet à se faire vieille, et la maladie la rattrapait. Tu étais toujours une jeune louve ambitieuse et pleine d'avenir. Ta mère te soutenais dans tous tes entraînements, et ton travail acharné avait fait de toi l'une des meilleures Chasseuse de la Meute, tout aussi puissante au combat. Tu avais toujours convoité le poste de Bêta. Mais tu étais si jeune... Ce ne serait pas pour cette fois-ci. Mais, quelles heures après qu'il ai été annoncé que le vieux canidé quittait le poste de Bêta, l'Alpha demanda à te voir. Tu crus qu'il voulait t'annoncer de réunir une patrouille pour aller chasser, mais ce fut tout autre. Il te parla de Sun, de Cendre, et, au terme de sa discussion, te dit la chose à laquelle tu t'attendais le moins :
« Taïga, je voudrais que tu me secondes désormais. Tu es notre meilleur élément. Tu as beau être très jeune, tu es la plus qualifié pour remplir ce rôle. »
C'était le moment que tu attendais depuis si longtemps ! Cependant, la nervosité vint vite remplacer l'euphorie. Jamais un Bêta n'avait été aussi jeune. Étais-tu prête à assumer ce rôle ?
« Un jour, je serais Bêta ! Et vous serez les meilleures Deltas de la Meute ! »
« Tu rigoles ? Je serais la plus jeune de toutes les Bêtas qui n'ai jamais été, moi ! Tu verras ! »
« Même pas vrai ! »
« Si ! Je vous fais la promesse de m'entraîner dur et d'arriver à devenir la plus jeune de toutes les Bêtas ! »Tu sentis les larmes te picoter les yeux. Vos jeux enfantins étaient bien loin. Sun et Cendre n'étaient plus. Tu ne sus jamais vraiment pourquoi, mais tu plongeais alors ton regard dans celui de l'Alpha, sans aucune gêne, et une phrase, une seule, s'échappa de ta gueule. Une phrase qui allait changer ton destin.
« Je leur avait promis. »
***
Trois mois avaient passé depuis ta nomination. Tu étais une Bêta d'exception. Songe Gris, qui commençait à prendre de l'âge lui aussi, te confiait de nombreuses tâches, mais tu n'en étais aucunement gênée. Ce fut par un matin orageux que Songe Gris te demanda de réunir quelques canidés pour partir chasser un peu et vérifier que les frontières étaient respectées. Tu désignais Cinder, ainsi que deux autres vétérans et un tout jeune loup pour t'accompagner. Tout se passait très bien, au début. La chasse était bonne, et le jeune ne se laissait pas distraire. Il écoutait ses aînés et les respectait comme il se doit. Tu venais d'achever un gros lapin lorsqu'une odeur te parvint. Tu redressais la tête et humais l'air plus attentivement. Soudain, tu te hérissais d’effroi, les pupilles dilatés par la crainte : tu venais de reconnaître cette effluve. C'était celle de la forêt qui devenait incandescente, et se faisait dévorer par les flammes qui l'engloutissaient. Tu poussais un cri d'alerte, commandant aux autres de fuir vers le camp pour aider à l'évacuer avant que le feu ne l'atteigne. Tu aperçus les deux vétérans qui incitaient le jeune, tétanisé par la peur, à fuir. Soudain, celui-ci retrouva l'usage de ses pattes et bondit à la suite de ses aînés. Où était Cinder ? Tu plissais les yeux pour observer les alentours, cherchant à y découvrir la silhouette de ta mère.
« MÈRE ? MÈRE, OU ES-TU ? CINDER ? » hurlais-tu.
Tu bondis parmi les arbres, humant l'air pour retrouver la trace de ta mère. Tu te hissais sur une petite colline à l'orée de la forêt. Ce fut alors que tu vis que le feu avançait plus vite que prévu : il était bien plus proche que tu ne le pensais. Déjà, sa chaleur réchauffait ta fourrure, sa lueur t'aveuglait. Tu déglutis, paniquée. Aucun signe de ta mère. Tu hurlais encore son nom. Soudain, un gémissement terrifié te parvins. Tu te précipitais vers là. Tu vis alors la louve, agrippée par les pattes avant au bord d'une falaise. Elle se débattait vainement pour trouver un appui et se hisser en sécurité. Sans hésiter, tu plongeais tes crocs vers sa nuque et les y plantait fermement pour la remonter. Tu finis par y parvenir, mais le feu était bien trop proche : vous voyiez les premières flammes lécher les arbres là-bas.
D'un coup de museau, tu ordonnais à ta mère de courir vers le Camp. Elle te jetais un regard épouvanté, avant de s'enfuir en bondissant parmi les arbres. Tu la rejoins pour courir à ses côtés, l'aidant d'un coup de museau ou d'épaule dès qu'elle trébuchait ou ralentissait l'allure. Vous longiez la falaise, filant telles deux flèches dans la forêt, poursuivies par les flammes. Tu sentais tes poils roussir, et la fumée vous faisait suffoquer. Tu ne savais pas si vous échapperiez à ce brasier. La falaise s'abaissait à vos côtés, devenant une pente rocheuse très raide. Soudain, la terre céda sous vos pattes. Tu poussais un cri terrifié lorsque vous furent entrainées dans le chute. Vous glissiez le long de la pente, buttant contre les rocs. Puis tu te sentis te stopper. Le corps couvert de plaies sanglantes et de bleus, tu te redressais. Tu vis Cinder qui faisait de même, non loin de là. Soudain, un craquement sinistre retentit, et un arbre s'écroula en haut de la pente, décrochant un énorme roc de celle-ci.
« Attention ! »
Trop tard. Ta mère levait les yeux vers le roc qui lui fonçait droit dessus, une expression de terreur pure sur le visage. Il y eut un bruit terrible lorsque le rocher frappa Cinder en pleine tête. La louve fut projetée plus loin, et le roc continua sa course, comme insensible à ce qu'il venait de causer. Tu te ruais vers le corps inerte de ta mère. Son pelage avait prit une teinte pourpre, et du sang coulait de sa gueule.
« Non, mère ! »
Tu la secouais vainement, pleurait et hurlait pour qu'elle se réveille. Mais tu savais bien qu'elle était partie pour toujours. Jamais plus tu ne pourrais courir à ses côtés, heureuse de vivre. Plus rien ne serait pareil, sans elle. Elle avait été ta mère, ta seule famille depuis la mort de Sun et de Cendre. Tu enfouissais ton museau dans son doux pelage. Un éclair déchira alors le ciel, et le tonnerre gronda. La pluie abattit tout à coup, et peu à peu le feu s'éteignit, laissant derrière lui une forêt brûlée, et au milieu des rocs, une toute jeune Bêta pleurant l'être le plus cher à son cœur. Ton pelage épais se plaquait contre ton corps, trempé par la pluie. Mais qu'importe ? Vos deux sangs se mêlaient, ne formaient plus qu'une flaque unique. Qu'avais-tu fait pour mériter tout cela ? Tu saisis doucement ta mère par la peau du coup et la traînait jusqu'au camp.
Durant toute la nuit, tu restais éveillée, blottie contre le corps froid de ta mère, pleurant toutes les larmes de ton corps. L'Alpha et les amis de Cinder t'avaient laissé seule la pleurer. Parfois, la solitude est la meilleure alliée pour rendre hommage à un être cher. Le lendemain matin, tu la portais en terre non loin de là où reposait Cendre et Sun. Tu partis alors marcher dans la forêt, pleurant tristement en contemplant les restes calcinés de tes Terres. L'incendie n'avait pas atteint le Camp. Mais de ta patrouille, tu étais la seule qui était revenue vivante. Où donc étaient les deux vétérans et le jeune loup ? Tu errais dans la forêt, poussant parfois de lugubres hurlements. Soudain, tu contournais un rocher, et tombais sur un corps inerte. L'un des vétérans, intoxiqué par la fumée, gisait, la gueule ouverte sur un cri muet et les yeux exorbités. Son pelage était brûlé par endroit. Tu eus un mouvement de recul, mais levait le regard un peu plus loin. Tu déglutis et contournait le corps, sans lâcher des yeux la direction que tu fixais. Une touffe de fourrure était accrochée au bout d'une branche. Au moment où tu tendais la patte pour la saisir entre tes griffes, elle se décrocha et s'envola jusqu'au corps du deuxième vétéran. Ton regard se voila. Folle de chagrin, tu t'enfuis en bondissant dans les tréfonds de la forêt. Mais, soudain, tu trébuchais et t’écroulas au sol. Tu poussa un cri lugubre lorsque ton regard croisa les restes du jeune : quelques os, des lambeaux de peau brûlée et des touffes de poils noircies. Il n'avait pas été assez rapide... Le feu l'avait vaincu.
« NON ! Je ne voulais pas... ! Je... Je ne voulais pas les emmener droit vers leur mort
» hurlas-tu.
***
Jeune Bêta d'un an et demi, au cœur brisé, tu étais devenue une louve redoutable. Ton chagrin avait contribué à ce qu'un masque froid et dangereux prenne la place de ton visage mélancolique. Tu étais partie en Terres Libres ce jour là. Mais cette journée allait marqué à tout jamais ton cœur. Car tu tombais sur un attelage. Tu n'aimais pas trop les humains. Ta mère t'avait dit qu'ils avaient tué l'un des siens avant ta naissance. Elle t'avait transmis sa haine de cette espèce. Mais dans cet attelage, il y avait un beau malamute roux, nommé Miel. Il était... Différent. Courtois, sympathique, respectueux. Bien vite, vous développiez des sentiments. Depuis votre rencontre, les autres disaient que tu avais changé. Et, chaque jour un peu plus, un sentiment ambigüe se prenait de ton être.
Plusieurs fois, vous vous donniez rendez-vous en Terres Libres. Et, au bout de seulement six mois, il t'annonça qu'il t'aimait. Mais, malgré tes supplications, il refusa de quitter les humains pour rejoindre la Meute.
Lorsque tu avais deux ans, Songe Gris tomba gravement malade. Tu craignais pour le sage Alpha que tu avais appris à aimer, presque comme un père. Il n'avait jamais eut d'enfant, car sa compagne était morte il y a plusieurs années de cela, et n'avait jamais put avoir de petits, à cause d'une maladie génétique. Songe Gris était vieux, désormais. Il n'avait plus sa force, ni sa résistance. Il se mourrait. Il finit par mourir sous tes yeux d'une maladie rare et inconnue. Tu étais à ses côtés lorsqu'il rendit son dernier souffle, après t'avoir nommé Alpha à sa suite.
***
Quelques jours plus tard, c'est une Taïga bouleversée qui apprit à Miel sa nomination. Celui-ci la félicita et tenta de son mieux de la réconforter. La jeune louve lui raconta alors son triste passé.
Trois mois avaient passé lorsque naquirent deux adorables chiens-loups (tu venais alors d'avoir deux ans et demi). Mais le seul petit mâle ne bougeait pas, ne respirait pas : faute d'une mise-bas prématurée de deux semaines, le jeune était mort-né. Tu redoublais d'attention envers ta fille, une jolie petite qui réunissait toutes les qualités de chacun de ses parents. Elle était vraiment magnifique. Étant fille unique et promise à devenir la futur Alpha, elle était gâtée et aimée par tous. Elle avait beau devenir chaque jour un peu plus manipulatrice, elle était tout ce qu'il y a de plus gentil.
***
Tu avais présenté à Miel sa fille, que tu avais nommée Aile d'Abeille. Celui-ci, charmé par la petite, avait décidé de venir vivre auprès de sa compagne en tant qu'Alpha. Il fut bien vite respecté par tous. C'est alors que commencèrent les ennuis.
Au bout de seulement deux semaines, Miel rentra au Camp avec le corps sans vie d'Aile d'Abeille. Il avait dit qu'elle s'était enfuie du Camp en douce, et qu'il l'avait pisté jusqu'à un lac gelé. Elle avait voulut aller s'amuser dessus, mais la glace avait cédé et elle était tombée. Elle s'était noyée, pétrifiée par le froid, sous les yeux impuissants de son père. La Meute toute entière en fut abattue.
Lorsque tu venais d'avoir 2 ans et 9 mois, Miel te demanda d'aller chasser avec lui. Il te conduisis jusqu'à l'orée du camp Indien, où il vivait autrefois. Soudain, il bondit sur toi, tous crocs dehors. Tétanisée, tu ne dût ta survie qu'au fait que l'un des pièges indiens se soit refermé sur sa gorge. Il se retrouva suspendu à un arbre, une corde autour de son cou, agonisant. Taïga bondit et cassa la corde en quelques coups de crocs. Encore sous le choc, elle ne pouvait savoir ce qui était bien et ce qui était mal. Le chien s'était relevé, crachant du sang, et avait grondé quelques paroles à la jeune Alpha :
« Tu croyais vraiment que je t'aimais ? Que ta fille m'était chère ? C'est moi qui l'avait jeté dans le lac. Tu m'entends ? C'est moi qui ai tué Aile d'Abeille. Mon seul but était de devenir Alpha, de dominer la Meute que tu aimais tant. Je n'aurais jamais put y arriver sans que tu devienne ma compagne. Je te haïs depuis le début, et de tout mon être. Mon seul désir était de te tuer pour devenir le seigneur de la meute. »
Sur le coup, tu ne compris pas ce qu'il voulait dire par là. Mais, soudain, il toussa de plus belle. Le sang coula de sa gueule et se rependit sur le sol. Haletant, il chancela un instant avant de s'écrouler au sol, secoué de spasmes. Tu restais tétanisée, le regard braqué sur lui tandis qu'il mourrait, souffrant. Soudain, tu fis volte-face et repartis à la Meute en courant, les larmes aux yeux. Ah, souffrance ! Souffrance qui se délecte de nous voir entre ses griffes, qui nous prend tout ce qui nous ait cher ! N'en as-tu pas assez de tourmenter la pauvre Taïga ? N'a t-elle pas déjà trop souffert ? Une aube nouvelle pointe à l'horizon. La petite louve, entourée de sa famille, qui jouait a bien changé. Elle se dresse désormais, sachant qu'elle ne pourra jamais réécrire de sa plume l'histoire de sa douleur, à la tête de la meute de l'Est. Elle a trouvé la paix... Mais pour combien de temps ?